Les Pirates de Lilennith, origines

Le cheval avance, tête baissée, sur la route pavée. Son cavalier, fatigué, lève la tête vers le ciel, et regarde le soleil se coucher derrière les quelques flocons qui commencent à tomber paresseusement. Dans quelques heures, au lever du jour, le paysage sera recouvert d'un manteau blanc. Le voyageur presse sa monture. Il n'est plus très loin de la ville, et passer la nuit dehors par un temps pareil ne lui dit rien.

Pour la centième fois depuis le début du voyage, il essaie de se rappeler comment tout ça à commencé, comment il s'est retrouvé par cette froide journée d'hiver à chevaucher vers Clar Karond, la cité des corsaires.
Il n'est que le deuxième fils d'une grande famille de Ghrond. Son frère aîné lui a volé toute la lumière à laquelle il avait pourtant droit. Il a dû se contenter de miettes pendant des années. Et pourtant, avec le soutien dont a disposé son aîné, il aurait pu accomplir de grandes choses! Il se secoue. Il s'appelle Dar'zho, et même si il est encore jeune, il est né pour commander à une puissante maison, et faire plier Nagarythe.

Il se rappelle cette rencontre qui lui a fourni l'occasion qu'il attendait depuis si longtemps. Cette sorcière sortie du Couvent Noir à la faveur de la nuit, qui l'a intercepté à la sortie de son tripot favori de la ville basse. Elle parlait vite, et bas. Elle, enfin, le voyait accomplir de grandes choses. Elle avait reconnu l'étincelle de bravoure et de cruauté que sa famille n'avait jamais réussi à accepter. Elle savait qu'il ferait plier son aîné devant lui!
Ivre de lotus noir et d'ambition, anticipant son succès, il n'a pas hésité longtemps. Il a pris le peu d'or que la sorcière lui offrait, et en rentrant chez lui, il a ramassé ce qu'il a pu, pris un cheval, et il est parti. Maintenant qu'il a retrouvé ses esprits, Dar'zho reconsidère sa décision. Il n'avait pas anticipé que le chemin jusqu'à Clar Karond serait si long et si froid. Il n'avait pas anticipé la fatigue et les courbatures d'un long voyage à cheval. Mais il ne peut plus vraiment reculer.

Et pour la centième fois depuis le début du voyage, Dar'zho envisage de prendre l'or que la sorcière lui a remis, et de disparaître dans la nature. Mais il n'ose pas. Ne dit-on pas que ces sorcières ont l'étrange pouvoir de pouvoir surveiller leurs agents à des lieux et des lieux de distance?

A des lieux et des lieux de là, dans une des cellules, dans une des hautes tours du Couvent de Ghrond, Lilennith s'étire dans son fauteuil à haut dossier. Ces séances de divination la fatiguent considérablement. Néanmoins, elle est satisfaite. Son plan se déroule comme prévu. Attirer un des rejetons d'une grande famille de la ville dans ses filets, jouer sur ses craintes, ses espoirs, et la haine de sa fratrie a été une partition plutôt facile pour la sorcière. Choisir sa cible s'est avéré plus difficile que prévu. Des fils qui n'hériteront pas, faibles, corrompus, drogués, la ville en compte beaucoup. Mais en choisir un dont les qualités sont réelles, mais en même temps suffisamment faible pour être contrôlé s'est avéré délicat. Mais Dar'zho semble faire l'affaire.

Il le faut, elle joue gros sur cette partie. L'or qu'elle lui a donné pour affréter un navire et enrôler un équipage constitue l'essentiel de ses réserves. Mais si l'expédition réussit, elle en sera remboursée au centuple. Néanmoins, elle sait que Dar'zho souffrira de la tentation, et peut-être tentera de disparaître avec son or. Elle l'a prévenu qu'elle le surveillerait, et pour le moment, Dar'zho passe ce test. S'il lui est fidèle, Lilennith saura le récompenser. Elle lui offrira sa vengeance!

Lilennith a pris ses précautions. Ses "soeurs" du Couvent Noir ne peuvent pas, ne doivent pas se douter de ce qu'elle prépare. Elle doit prendre cette précaution, et conserver cette longueur d'avance sur ses rivales, et consolider sa position. Même la Matriarche Suprême ignore tout.

Dans une des plus hautes tours de Ghrond, Morathi rit doucement devant tant de naïveté...

Très chouette présentation.
Intrigue, complot, naïveté, quête, vengeance, bref cela donne une bonne histoire

Sympa comme tout. Ca nous laisse sur la faim car on a envie de lire la suite.
Bravo !

Cool, j'avais peur que ça soit trop long .

Dar'zho se hâte dans la ruelle sombre. Les ruelles aux environs du port ne sont pas réputées être sûres pour les voyageurs de passage. Il vérifie que son poignard coulisse bien dans sa gaine. La taverne qu'on lui a signalée n'est plus très loin. Il entend un bruit derrière lui, et se retourne avec agilité, sa lame brille déjà dans sa main. Personne. Maudissant sa fébrilité, il continue son chemin.

Il pousse la porte de l'auberge, et est accueilli par un flot de lumière. A sa grande surprise, l'établissement est bien éclairé, propre et accueillant. Il s'installe, et une esclave apparaît comme par magie près de lui pour lui proposer divers réjouissances, à fumer, à boire ou à torturer. A regret, il décline. Il doit garder la tête claire. Alors qu'elle fait mine de s'éloigner, il attrape le poignet de la jeune fille. Il veut savoir qui est ce capitaine Daegor dont on lui a parlé, qui passe son temps ici quand il est à terre. Du menton, elle lui indique un grand druchii installé dans un coin avec une pipe fumante. Dar'zho braque son regard sur le capitaine. Il lui manque un oeil, mais malgré la drogue qu'il consomme en ce moment, ses gestes sont sûrs et précis. La garde dorée d'une épée à sa ceinture reflète la lumière. Il sera difficile de le manipuler.

Les autres clients de l'auberge ne lui font pas très forte impression. Il a déjà visité plusieurs taverne de marins, parlé avec de nombreux capitaines, éventré quelques imprudents qui pensaient pouvoir le dépouiller de son or sans partir dans une expédition incertaine. Ce capitaine a l'air plus fiable que les autres, ce qui ne veut pas dire grand-chose à Naggaroth. Il se rapproche prudemment.
- Je sais qui tu es, lui dit l'elfe, son oeil unique fixé sur sa pipe qu'il est en train de rallumer.
Dar'zho ne lui répond rien. Il tire une chaise et s'assoit.
- J'ai entendu que tu voulais aller dans le sud. Sur une île. C'est vrai? poursuit le capitaine.
- C'est vrai.
- Elle est où, exactement, cette île?
- Je ne crois pas que je vais partager cette information avec vous, sourit le noble. En réalité, Lilennith ne lui a pas donné cette information. Elle le "recontactera". La sorcière a assuré ses arrières. Cette manière de faire lui hérisse le poil. Il déteste ne pas être maître de son destin. Mais le capitaine Daegor n'a pas besoin de le savoir.
- Il est dit que, sur cette île, on peut trouver une véritable fortune. C'est vrai?
- A ce qu'il paraît.

Le capitaine feint le désintérêt. Mais il a mordu à l'hammeçon. Le sourire de Dar'zho s'élargit. Les négociations commencent. Ce capitaine a les moyens de ses ambitions. Il possède son propre bateau, et l'équipage ne devrait pas être un problème dans cette ville. Dar'zho financera les fournitures nécessaires à l'expédition avec l'or qu'il a ammené de Ghrond. Les trésors trouvés sur l'île seront répartis entre l'équipage, le capitaine et lui-même. Sur sa part, il devra récupérer la pierre magique qui intéresse Lilennith. Son destin est de toute façon lié à celui de la sorcière.

Il ne reste plus à Dar'zho qu'à s'assurer qu'il ne sera pas jeté par dessus bord une fois les trésors embarqués. En gardant la localisation de l'île secrète, Il est presque sûr de ne rien risquer avant d'y arriver. Comme il n'a pas d'alliés dans cette ville, il lui faudra s'en assurer dans l'équipage. Il recrutera lui-même quelques guerriers, pendant que Daegor recrutera les corsaires qui manoeuvreront le navire.

La nuit tire à sa fin, et le jour pointe de nouveau quand Dar'zho quitte la taverne. Il doit encore recruter quelques solides acolytes, et il pourra prendre la mer. Il tourne à un coin de rue, quand il sent quelque chose bouger dans sa poche. Vif comme un serpent, il attrape le poignet du tire-laine. Un tout jeune druchii lui lance un regard terrifié. En lui souriant sadiquement, Dar'zho attrape lentement son poignard de sa main libre. Il va pouvoir fêter cet accord avec le capitaine Daegor!

Lilennith marche à grand-pas vers ses quartiers. Elle doit s’organiser. Une bande de peaux-vertes a été repérée dans les montagnes à l’ouest de Ghrond. Avant que le problème ne s’aggrave, une petite troupe va se charger d’éliminer cette menace. Le commandant en chef de la force expéditionnaire Druchii a requis un soutien magique auprès du Couvent Noir, et Lilennith va devoir accompagner l’armée. Aller au combat contre un ennemi aussi désorganisé que les Orcs n’effraie pas la sorcière. Ce qui l’inquiète en revanche, c’est la rumeur qui court depuis ce matin dans le Couvent : ce serait la Matriarche Suprême elle-même qui l’aurait désignée pour ce rôle. Pourquoi aurait-elle fait une chose pareille ? De plus, au milieu d’un cantonnement militaire, il est hors de question de surveiller les agissements de Dar’zho.

Arrivée dans sa cellule, elle verrouille la porte soigneusement. Rapidement, elle invoque une vision du navire corsaire. Dar’zho se tient à la proue, et regarde l’immensité de l’océan. Une petite silhouette indistincte, noire, tourne autour de lui : le démon mineur que Lilennith a invoqué pour transmettre ses ordres au jeune noble. Tout à l’air sous contrôle de ce côté-là. Le jeune noble sait ce qu’il a à faire. La sorcière devra bien s’en contenter. Elle dissipe la vision, et entreprend de préparer son voyage.

Elle a choisi une monture robuste, à même de porter sa frêle silhouette jusqu’aux montagnes. Le corps expéditionnaire s’est rassemblé dans une des casernes de la ville. Une petite force d’infanterie, des lanciers pour la plupart, mais aussi un redoutable escadron de chevaliers sur sang-froids. Elle devra s’assurer que son cheval reste à bonne distance des dangereux reptiles.

Le lendemain, l’armée se met en route. Le train est lent. Encore plus lent que ce que craignait Lilennith. Le paysage est monotone, et les distractions sont rares. Bien qu’elle soit invitée à la table de l’état-major tous les soirs, elle ne goûte que peu la conversation des officiers. Le commandant est un vieil elfe renfrogné et prudent. Il a requis la présence d’une maîtresse des arts noirs pour le combat, mais il se méfie d’elle. Probablement à juste titre, doit-elle admettre. Le paladin noir qui commande aux chevaliers est plus volubile. Sans efforts, Lilennith le manipule et s’en fait un allié. Avant même d’être arrivé aux montagnes, il prend ses ordres autant auprès d’elle que du commandant.

Le campement Orc est maintenant tout proche. Les éclaireurs l’ont signalé il y a plusieurs heures. Il est situé au fond d’une petite cuvette, abritée des vents. La ligne de bataille Druchii se met en place à l’entrée de la vallée. Lilennith et l’état-major se placent sur un éperon rocheux, d’où ils ont une vision globale du champ de bataille. Ca y est, les Orcs se sont avisés de la présence des elfes noirs. Ils sortent en se bousculant de leur campement, avides d’en découdre.

Un peu à l’écart, un orc, maigre et noueux, lève un bâton vers le ciel. Aussitôt, Lilennith sent le goût âcre des vents de magie qui se lèvent. Une ombre apparaît au-dessus des lanciers elfes. La sorcière n’hésite pas, et disperse les énergies magiques en formation. Le chaman orc, surpris, lève les yeux vers elle. Elle lui sourit, menaçante. Sans lui laisser le temps de réagir, elle concentre les différents vents de magie en une seule flèche noire comme la nuit qu’elle précipite vers le chaman. Au dernier moment, l’orc érige un bouclier immatériel qui disperse une partie de l’énergie du sort. Immédiatement, la sorcière Druchii invoque une créature infernale dans le dos du chaman. Le démon rugit en apparaissant dans la réalité, et l’orc se retourne d’un bloc. Il n’a pas d’autres choix que de s’occuper immédiatement de ce nouvel adversaire. C’est un jeu d’enfant pour la sorcière de rassembler une boule de feu, et de la projeter sur son adversaire, incinérant à la fois le chaman et l’apparition invoquée.

A bout de souffle, Lilennith lève les yeux de son duel magique pour examiner le reste de la bataille. Une mélée féroce fait rage, la discipline et l’agilité des elfes contre la sauvagerie et la brutalité des orcs. L’affrontement est indécis. A ce moment, le commandant lève une main. En haut de la pente qui domine le champ de bataille, les sangs-froids apparaissent en rangs serrés. Les nauglirs piaffent d’impatience à l’idée de se jeter sur les peaux-vertes. Sur un nouveau signal, la charge est lancée. Progressivement, la cavalerie lourde prend de la vitesse, et percute un groupe d’orcs en armure lourde. Un monstrueux peau-verte fait face à la charge des elfes noirs. Probablement le chef. Il pousse un hurlement et brandit sa massue. Avec une rapidité incroyable pour une masse pareille, le seigneur des orcs abat son arme sur le flanc du chevalier de tête. Le paladin noir vide les étriers. L’orc se retourne vers lui, désireux d’en finir. Lilennith réagit immédiatement, et rassemble ses pouvoirs pour envelopper le peau verte d’une gangue de glace. Ca ne ralentit pas le guerrier longtemps, mais ce répit suffit aux autres chevaliers pour se ruer à la rescousse de leur paladin. En quelques instants, le chef de guerre est déchiqueté par les crocs aiguisés des terribles lézards et les épées de leurs cavaliers.

Quand le colosse peau-verte tombe, c’en est trop pour les orcs. Ils tournent les talons, et tentent d’échapper à leur destin. Il est temps de capturer un maximum de ces robustes esclaves. Le paladin noir, quand il repensera à cette bataille, ne pourra pas ignorer d’où est venu le sort qui l’a sauvé. La fidélité des chevaliers est désormais acquise à la sorcière.